InterviewL'hommage de Christian Constantin: «Léonard Gianadda était un surhomme»
Le président du FC Sion connaissait le mécène de Martigny depuis son enfance.
- par
- Vincent Donzé
Celui qui était proche en Valais de l'entrepreneur et mécène Léonard Gianadda, décédé ce dimanche à 88 ans, c'est Christian Constantin (66 ans). Une génération les sépare, mais celui qui deviendra l'emblématique président du FC Sion s'est retrouvé dès l'enfance au contact de ce voisin qui créera la Fondation Pierre Gianadda. Entretien sous forme d'hommage avec C.C.
Vous perdez un ami, quelle était votre relation?
Avant ma naissance, Léonard était un ami de mon père, l'un né en 1935, l'autre en 1932. Ils se sont connus à l'âge de 17 et 20 ans et ont passé tout leur temps ensemble. Mon père réalisait des travaux pour Léonard, ici une cage d'escaliers, là un parapet de balcon, avant de donner sa forme à la Fondation Pierre Gianadda, en béton et en pierres du Gard.
Vous-même, quand l'avez-vous fréquenté?
Il habitait à 70 mètres de l'endroit où je suis né... Tout gamin, j'effectuais des stages à son bureau. Il s'agissait de savoir lire des plans.
Que retenez-vous de lui?
C'était un grand homme, né pour commander et mort en commandant. Ses conseils d'administration étaient formés d'un chiffre impair inférieur à trois... Il prenait ses décisions seul, il était d'une grande loyauté. Fort de caractère, Léonard avait toujours un geste du coeur si quelqu'un se sentait blessé. Il avait toutes les caractéristiques d'un surhomme!
Un surhomme en toutes circonstances?
Il aimait et connaissait le sport, sans guère le pratiquer. Mais le jour où il a participé à un concours de saut en longueur, il a battu le record valaisan... On parle d'une personnalité comme on n'en croise pas beaucoup, quelqu'un qui te marque, qui ne dort jamais et qui mène à bien ce qu'il entreprend.
Était-il le représentant d'une époque révolue?
Avec lui, il n'y avait pas que des mots, mais des faits. En travaillant pour cette génération, on perçoit la différence entre dire et faire. Avec des tailleurs de pierre du Frioul, son père a construit la route du col de La Forclaz, une des plus belles du monde avec ses murs sur 13 kilomètres. Avec Léonard, vous alliez sur la place Saint-Marc à Venise et il vous expliquait son histoire, avec sa grande connaissance des choses.
Retenez-vous surtout son côté entrepreneurial?
Fondamentalement, il voulait être plus artiste, communiquer pour des artistes. Il aurait pu devenir sculpteur, mais pour faire plaisir à son père Robert, il est devenu ingénieur.
Sa fondation, comment l'avez-vous vu naître?
En réalisant des bâtiments dans le quartier historique de Martigny, il est tombé sur des ruines archéologiques. C'est à ce moment-là que son frère Pierre qu'il aimait tant s'est tué dans un accident d'avion en Italie. La Fondation qu'il a construite en son hommage a ouvert le Valais à la culture, avec un rayonnement européen.
La fondation pourra-t-elle lui survivre?
Trois expositions ont été organisées avant son départ, mais je ne suis pas loin de penser que Léonard est irremplaçable. Pour obtenir des tableaux de grande valeur, il faut fournir à leurs propriétaires une crédibilité, une notoriété et une traçabilité.
Parmi les derniers moments partagés, il y a une sortie au cirque à la fin du mois d'octobre...
Au Cirque Knie, oui, avec une passion partagée pour ces gens du voyage qui viennent monter un chapiteau, vous rendent heureux avec un spectacle et repartent sur la route. Contacté par Mary-José Knie pour une représentation suivie d'une raclette, je lui ai demandé d'inviter également Léonard.
Est-il venu à la raclette?
En 2018, on lui donnait encore cinq ans à vivre et à l'évocation d'un dernier plaisir dans la vie, il me disait «T'as qu'à faire le calcul». Pour la raclette, il était trop affaibli après avoir perdu 40 kilos et passé quatre jours au CHUV dans un caisson nucléaire. Pour lui éviter de devoir marcher 40 mètres, je suis allé chercher ma voiture et c'est là qu'il y a eu cet accident...
Sa blessure à la jambe a-t-elle froissé votre relation?
Au contraire, puisqu'il n'y avait aucune mauvaise intention, il s'est fait du mouron pour moi! Son immobilité lui a permis de passer du temps avec ses deux garçons, ce qui leur a fait beaucoup de bien.