Bande dessinéeLargo Winch retombe les pieds sur terre
Interview de Philippe Francq qui conclut ce diptyque dans lequel il a envoyé son héros dans l'espace.
- par
- Michel Pralong
Quand il a commencé à travailler à cette aventure avec son scénariste Éric Giacometti, Philippe Francq avait déjà l'idée de la première page: Largo Winch se réveille et découvre la Terre vue d'en haut. C'est effectivement comme cela que commence «La frontière de la nuit», avant un flashback qui explique comment l'aventurier milliardaire a pu se retrouver dans l'espace.
La suite de ce diptyque, «Le Centile d'Or», débute aussi sur un flashback montrant l'intérêt pour les fusées du nouveau «copain» de Largo, Jarod Manskind, devenu un précurseur dans le domaine spatial. Mal embarqués dans leur vaisseau, les deux hommes vont pouvoir regagner le plancher des vaches non sans difficulté, mais le danger qui plane sur eux ne sera pas écarté.
«Renouer avec l'humanité de Largo»
Cette aventure nous montre un Largo prendre conscience du degré de pollution de certaines de ses activités et se révolter en voyant une de ses filiales avoir recours au travail des enfants. «Avec l'amitié avec Jarod, qui n'était pas gagnée dans le premier volume, et cette compassion pour ces enfants esclaves, je voulais renouer avec l'humanité de Largo», explique Philippe Francq qui était de passage à Genève.
Car la grande différence depuis quatre albums, c'est qu'ils ne sont plus scénarisés par le créateur du héros, Jean Van Hamme, mais par Giacometti... et Francq. «Je m'implique dans l'histoire et je peux diriger la série vers où j'en ai envie, tandis que je ne mettais pas mon nez dans les scénarios de Jean. J'ai toujours besoin d'un scénariste, car je n'ai pas le goût de travailler seul et je connais la difficulté à faire des dialogues de BD».
Francq peut aussi s'adapter à son époque, car le monde des multinationales a bien changé depuis la sortie du premier album en 1990. «Aéronatique, pétrole, mines, ce sont des domaines qui ne sont plus vus du tout de la même manière aujourd'hui. Si on extrait toujours du cuivre, ce sont les métaux rares qui sont aujourd'hui surtout recherchés pour leur utilisation dans les nouvelles technologies et l'aérospatiale. Mais on n'en trouve que de petites quantités dans des tonnes de matériaux extraits, donc c'est extrêmement polluant».
Mais où Francq s'est fait plaisir dans cet album, c'est de pouvoir emmener son héros dans l'espace. «Cela fait une quinzaine d'années que je lis des choses sur Richard Branson et son tourisme de l'espace. Il y a beaucoup de nouveaux sujets à traiter et chacun doit arriver au bon moment. Là, je sentais que c'était l'espace. Sauf que depuis, Elon Musk et Jeff Bezos sont allés bien plus vite que Branson.»
Si son personnage de Jarod Manskid utilise un système de vol spatial proche de celui de Branson, sa personnalité tient plus des deux autres. Même s'il a le visage de l'acteur Tom Hiddleston et son épouse, Demetria, celui d'Angelina Jolie. «Je dois créer des personnages et, parfois, plutôt que d'inventer, j'aime bien m'inspirer du réel, que ce soit des amis ou des stars.»
Philippe Francq excelle pour dessiner notre monde contemporain, alors que bon nombre d'autres auteurs sont allergiques aux smartphones et voitures modernes, jugés peu esthétiques. «J'aime changer de paradigme et voir la beauté en toutes choses. C'est d'ailleurs mon grand défaut, tout est beau dans mes albums, et bien entendu toutes mes femmes aussi.»
Sculpturales, ses héroïnes féminines, même si elles sont bien plus que des potiches, finissent souvent entre les draps, avec notamment cette fois un plan à trois avec Jarod et un Simon Ovronnaz très actif durant tout le diptyque. Mais Largo n'aura même pas un baiser. «Et cela continuera dans les deux prochains tomes. Sexistes, mes albums? Je n'ai pas vraiment eu de remarques à ce sujet et j'ai de nombreuses lectrices. Mais en dédicace, elles n'ont pas de demandes spéciales, alors que les hommes réclament souvent des personnages féminins et très habillés. »
La couverture de ce dernier album surprend, car il y manque un élément essentiel: Largo est en fait sur un skateboard volant, une scène digne d'un «Mission impossible» où, dans l'aventure, il pourchassera ainsi un hélicoptère. «Oui, j'aime bien que mes couvertures soient un peu énigmatiques, comme une photo de tournage, où le cliché est pris une fois l'action arrêtée. Et les lecteurs découvriront ce que signifie Centile d'or.»
Philippe Francq, qui avait commencé sa carrière avec le regretté Bob de Groot, ne rêve-t-il pas de dessiner autre chose que Largo, après 24 albums? «Non, je n'ai pas besoin d'une parenthèse, j'adore cet univers. Je trouve que chaque diptyque est très différent des autres et, l'avantage, c'est que la série a eu le temps de s'installer. Je peux ressortir du placard un personnage «lyophilisé» et le faire revivre avec un peu d'eau. Cela fait plaisir au lecteur et pas besoin de faire les présentations, tandis qu'il m'a fallu une bonne dizaine de pages pour introduire Jarod et Demetria.»
Ce diptyque, explosif et débordant d'action, est particulièrement réussi et les auteurs ont déjà choisi les thèmes principaux pour le suivant. Avant de découvrir un troisième film de Largo Winch avec Tomer Sisley au cinéma. «Je crois qu'il est déjà tourné. Évidemment, ce qui s'y passe n'influence en rien les BD. Largo a eu un fils dans le deuxième film, ce qui n'arrivera pas dans les albums. Et si Sisley ressemble moins à Largo que Paolo Seganti dans la série télé, c'est son rôle d'acteur de nous faire croire qu'il est Largo».