CommentaireLa méga partie de chasse commence dans le Far West valaisan
Plusieurs cantons peuvent chasser le loup dès aujourd'hui. C'est en Valais que l'opération est la plus attendue.
- par
- Eric Felley
Formellement, depuis ce 1er décembre à minuit, la chasse aux loups est ouverte en Suisse jusqu'au 31 janvier. Cinq cantons ont fait des demandes pour réguler leurs prédateurs: Grisons, Tessin, Saint-Gall, Vaud et Valais. En tout, douze meutes complètes sont visées.
C'est en Valais que l'opération s'annonce la plus ambitieuse. Les autorités cantonales veulent tirer sept meutes dans tous les coins du Haut-Valais jusque dans le Chablais. L'objectif est d'en prélever 34, mais le Service de la chasse valaisan estime qu'un total de 10 en deux mois serait déjà un succès. Dès ce jour, il faut s'attendre à un feuilleton digne du Far West concernant cette traque historique et le nombre de bêtes abattues.
La «bête du Val Ferret»
L'histoire du loup dans ce canton est déjà longue de mille histoires, mais la date de ce jour est particulière. Pour la première fois, le Valais peut lâcher des centaines de chasseurs pour traquer le prédateur honni. On compte aujourd'hui entre 90 et 120 spécimens dans le canton, alors que le Valais avait éradiqué le loup après la mort de celui d’Eischoll en 1947. Tout a recommencé à l'été 1995, avec la présence de la «bête du Val Ferret», qui avait tué 70 moutons dans la région d'Entremont. Une analyse génétique avait montré que des crottes trouvées correspondaient à deux loups, probablement d'origine italienne.
Le 5 février 1996, une caméra, installée par le spécialiste du loup Jean-Marc Landry, se déclenchait au passage d'un animal au-dessus de Liddes (VS). C'était la première preuve du retour du loup en Suisse et en Valais. Les jours suivants, le garde-chasse convoquait 50 chasseurs, qui ont participé à plusieurs battues. Mais ils sont rentrés bredouilles et n'ont pas vu le loup. Dans la foulée, en 1997, la petite station de La Fouly (VS) a lancé une attraction touristique nommée «Le sentier du loup», mais les éleveurs l'avaient mal pris.
Pas de loups en Valais
A l'époque, le chef du Service de la chasse, Narcisse Seppey, déclarait: «Le Valais ne désire pas la présence du loup. Si la Suisse est d'un autre avis, c'est à elle d'assumer. C'est vraiment trop facile de décider pour les autres et de les laisser ensuite se débrouiller». Depuis, la polémique n'a jamais cessé d'enfler entre des Valaisans qui ne veulent aucun loup et les milieux de protection de la nature qui estiment que la cohabitation est tout à fait possible.
Comme les éléphants et les tigres
Dès le départ, les opposants ont dénoncé un retour artificiel du loup orchestré par les écologistes. Le biologiste valaisan Raphaël Arlettaz contestait alors: «La rumeur de la réintroduction par des écologistes, on la retrouve partout où le loup réapparaît: en Italie en France en Espagne, en Suède. C'est un scénario paranoïaque». Il y voyait au contraire un beau défi: «On jugera si nous sommes capables en Europe de faire ce qu'on exige depuis des années des Indiens et des Africains, à qui l'on demande de protéger leurs éléphants et leurs tigres».
Mais le président des chasseurs de l'époque, Charly Sierro, n'avait pas pour vocation de bichonner une réserve d'animaux sauvages. Il résumait le sentiment dominant du café du commerce: «En tant que montagnard, je trouve un peu triste toutes ces mesures de protection à l'encontre d'une bestiole qui n'apporte que des problèmes». Vingt-cinq ans plus tard, les positions n'ont guère évolué.
L'arrivée d'Albert Rösti
La politique fédérale de protection du prédateur a nourri une longue frustration dans les vallées alpines durant toutes ces années, malgré les mesures d'accompagnement des troupeaux et les indemnisations. À Berne, ce sont des centaines d'interventions, questions, interpellations ou motions hostiles au loup, qui ont été déposées par les élus alpins pour combattre cette marotte citadine de protéger un carnassier.
Avec l'arrivée de l'UDC bernois Albert Rösti à la tête du Département et de l'Office fédéral de l'environnement, les opposants aux loups ont eu pour la première fois un allié. Il a rapidement défendu la régulation d'un animal devenu trop présent, plus assez peureux et qui allait augmenter d'une façon exponentielle.
Un bon loup est un loup mort
En Valais, 27 ans après la traque de la «bête du Val Ferret», ce sont 800 chasseurs qui se sont mobilisés pour tirer un ou plusieurs des 34 loups mis au ban. L'ampleur de cet engagement montre à quel point il persiste dans certains milieux un fort sentiment qu'un bon loup est un loup mort.
Cette méga partie de chasse de deux mois va connecter le Valais identitaire par-delà ses montagnes et ses vallées, avec comme mentor le conseiller d'Etat chasseur Christophe Darbellay. Mais, dans le reste de la Suisse, le décompte des bêtes abattues risque fort de ne pas être très populaire sous le sapin de Noël. Et le sang du loup pourrait bien entacher durablement l'image du canton.