Eddy de Pretto: «Ce disque répond à la merde et au vide que le tribunal a causés»

Publié

InterviewEddy de Pretto: «Ce disque répond à la merde et au vide que le tribunal a causés»

Le chanteur français vient de sortir «Crash cœur», un troisième album aux sonorités pop. Il nous parle de son procès contre ses cyberharceleurs, de sexe et d'épanouissement.

Fabio Dell'Anna
par
Fabio Dell'Anna
Eddy de Pretto, 30 ans, a sorti son 3e album, «Crash coeur», le 17 novembre 2023.

Eddy de Pretto, 30 ans, a sorti son 3e album, «Crash coeur», le 17 novembre 2023.

Eddy de Pretto

«Crash cœur» est avant tout un album feel good. Insulté sur le Web l'an dernier, Eddy de Pretto avait porté plainte contre dix-sept personnes pour harcèlement en ligne. Onze ont été condamnées. Son interprétation dans une église d'un titre évoquant son homosexualité et la religion lui avait valu plus de 3000 messages haineux. Une période «de merde» qui l'a poussé à créer un projet positif aux vibes pop et R'n'B des années 2000.

De passage à Lausanne, le chanteur de 30 ans raconte ce disque dans lequel il chante l'amour et le sexe, mais aussi les figures LGBT qui l'influencent et de son côté pudique qui s'efface au fil des années. Il nous parle aussi de la scène, l'endroit où il se sent le mieux. Rencontre avant son passage aux Docks de Lausanne et à l'Arena de Genève en 2024.

Vos deux premiers albums étaient des accouchements, vous aviez une grande peur de la feuille blanche. Celui-ci?

Là, je me suis fait plus confiance en studio. Je me suis amusé à écrire des choses que je ressentais véritablement. J'ai mis moins de lourdeur. Je ne me suis pas dit: «Il faut que tu écrives sur des choses importantes, comme le réchauffement climatique. Il faut que tu pointes du doigt ce qui ne va pas.» Je voulais me connecter à moi-même. Cela m'a permis de montrer une autre casquette de l'auteur et compositeur que je suis.

Quand vous parlez de lourdeur, vous faites référence à quoi?

J'ai envie de montrer un côté un peu plus pop. J'étais aussi fatigué d'analyser et de commenter la société qui est plus en plus divisée et segmentée. Je voulais écrire sur des choses qui me font du bien et sur la quête de soi, de la manière la plus positive possible.

Vous avez longtemps flirté avec la pop. Vous l'assumez complètement sur ce disque. Qui vous influence?

Dua Lipa! En français, c'est plus compliqué à trouver... J'aime beaucoup Christine and the Queens et Juliette Armanet.

Juliette Armanet avec qui vous avez collaboré sur le duo «Eau de vie». Comment est née cette chanson? 

Assez facilement. J'avais écrit cette chanson et je trouvais qu'il y avait des mots qui appartenaient beaucoup au vocabulaire de Juliette. Je lui ai fait écouter le titre et elle a eu un coup de cœur. Pendant dix jours, elle m'a répété: «Je l'écoute en boucle.» Elle est ensuite rapidement entrée en studio.

Dans votre single «Love & Tendresse», vous dites: «Sans sentiment, tu as tenu longtemps comme ça.» Vous aviez du mal à vous ouvrir?

Oui. J'ai reçu une éducation où l'amour et la tendresse me paraissaient souvent un peu trop futiles. Pour moi, c'était à vomir. Ma mère représentait l'autorité et mon père était distant. Même mes amis m'ont toujours fait des réflexions sur le fait que je donnais peu de câlins. Je me définis comme froid, stoïque et déterminé. Et arrivé à 30 ans, on se rend compte que ça change. Avec ce mantra «Love & Tendresse», j'essaie de m'autoconvaincre que cela fait du bien de donner un peu de soi-même.

Vous faites plusieurs clins d'œil à la communauté LGBT dans ce disque. C'était important pour vous?

On sait que je suis un artiste gay qui le chante et l'assume. Cette fois, je voulais faire un clin d'œil à la réalité. On a l'impression de seriner depuis tellement de temps les mêmes choses. Malgré ces répétitions, il y aura toujours quelqu'un pour vous dire que ce sujet n'a pas d'importance. C'est pour cette raison que je me permets de remettre une couche dans chaque album.

«J'ai l'impression qu'on me verra comme quelqu'un de spécial toute ma vie. Il faut que je l'assume. Avec la gueule que j'ai et ce que je chante, cela ne changera jamais»

Eddy de Pretto, chanteur

C'est différent pour chaque disque?

Le premier était plus autobiographique. Je me présentais à la Francophonie. Le deuxième met en évidence mon côté monstre vu par la société. Celui-ci fait référence de manière subtile à la communauté. Cela me fait du bien aussi de pouvoir raconter la réalité quotidienne, de ne pas faire comme si ça n'existait pas. Il n'y a pas des millions de chanteurs gays qui chantent leurs histoires homosexuelles.

Comment vous perçoit-on dans l'industrie musicale?

J'ai l'impression qu'on me verra comme quelqu'un de spécial toute ma vie. Il faut que je l'assume. Avec la gueule que j'ai et ce que je chante, cela ne changera jamais. J'ai un peu le fantasme de l'artiste pop parfait qui ferait mouiller les midinettes, mais malheureusement je ne le suis pas. Il faut aussi que j'endosse totalement la personne que je suis. Je crois que c'est ce qui a plu.

Dans votre titre «Être biennn», vous dites ironiquement qu'il faut faire semblant pour être bien. C'est toujours le cas?

Je crois que la quête du bonheur est le travail d'une vie. Il faut trouver une stabilité malgré le fait d'être continuellement insatisfait. Je ne sais pas si mon métier me rend ainsi, mais je suis constamment dans des montagnes russes. Être pignon sur rue, c'est une chance, mais je reçois souvent des poings dans la gueule. Par exemple, quand je suis allé au tribunal et que j'ai vu les accusés. Il a fallu remettre du positif dans ma vie. J'ai donc écrit un album. Ce disque vient répondre à la merde et au vide que ce tribunal a causés. C'était une époque sombre de ma vie.

Vous ne vous êtes absolument pas censuré au niveau des paroles. Il y a beaucoup plus de références sexuelles, non?

Vous trouvez? Le premier album était aussi sexuel. Cela fait partie de la réalité de ma vie. Je ne vais pas le cacher. J'aime en parler. On baise tous. Et ça change quoi? J'aime le dire avec beaucoup de poésie aussi. Je trouve ça beau, des corps qui dégoulinent d'amour.

«J'ai adoré la tournée de Rosalía. Mes concerts seront très visuel aussi. C'est un peu le futur»

Eddy de Pretto, chanteur

«Papa Sucre» résume parfaitement cette atmosphère. Le titre reprend d'ailleurs des sonorités de «I’m A Slave 4 U» de Britney Spears. Pourquoi ce choix?

C'est un clin d'oeil aux années 2000. Comme avec chaque album, j'ai essayé de trouver un fil rouge. Pendant mon adolescence, j'étais beaucoup influencé par le R'n'B. Britney Spears fait partie de l'une de ces inspirations. Je me suis beaucoup amusé en studio.

Dans «Personne pour l'hiver», vous racontez vos conquêtes de l'été pour espérer ne pas passer l'hiver tout seul.

Oui. C'est drôle, pendant l'été, je suis tout feu tout flamme. J'ai tendance à être un vagabond des cœurs et à m'amuser. L'hiver, on retrouve moins cette euphorie. Du moins à Paris. Même si j'apprécie de plus en plus cette saison depuis ma trentaine. (Rires.) Mais quand tu es en solo, cela peut être glauque.

Le dernier morceau de l'album se nomme «Heureux :)))». Qu'est-ce qui vous rend heureux?

La scène. Il s'agit de l'endroit où j'ai le plus confiance en moi. Il faut que je passe par là pour que je m'épanouisse. Et cet épanouissement passe aussi par le renouvellement. J'aime proposer des choses différentes et ne pas me reposer sur mes acquis.

L'an prochain, vous serez le 12 avril aux Docks de Lausanne et le 28 novembre à l'Arena de Genève. Vous avez déjà commencé à travailler sur le show?

Oui. J'ai adoré le concert de la dernière tournée de Rosalía. Le mien sera très visuel aussi. C'est un peu le futur. Je suis très excité, mais il faudra venir à Lausanne et Genève pour voir le résultat.

Ton opinion