CommentaireL'Abbaye de Saint-Maurice et les vierges effarouchées
«Secoué», «ébranlé» ou «sous le choc»... Le degré d'indignation des autorités valaisannes interpelle.
- par
- Eric Felley
Mais quel coup de massue en Valais à la suite du reportage de la RTS sur les cas d'abus sexuels à l'Abbaye de Saint-Maurice! Les connaisseurs de l'institution ont assez rapidement pu mettre des noms sur les 9 dossiers pendables présentés dans l'émission «Mise au Point» dimanche soir. Certains ont été condamnés il y a plus de vingt ans... D'autres n'ont pas été condamnés et enfin dans le dernier cas, celui du Père Abbé Jean Scarcella, l'enquête est en cours.
L'ennui est que durant le temps des investigations, l'intérim est assuré par le prieur Roland Jacquenoud, à qui est aussi associé un sérieux dérapage par le passé. Les réactions des autorités à ce reportage ont été à la hauteur de l'onde de choc populaire. Le conseiller d'Etat Frédéric Favre a déclaré sur la RTS: «Je suis complètement secoué. (...) On voit qu'il y a eu des structures qui ont eu tendance à vouloir étouffer les choses» (sic).
De la colère au choc
Le conseiller d'Etat, Christophe Darbellay a rencontré les autorités de l'Abbaye dimanche soir lors d'une réunion de crise. «Je suis en colère, a-t-il déclaré lundi soir au «19 h 30» sur la RTS. Je suis profondément ébranlé par ce que j'ai vu, par les témoignages des victimes, c'est vraiment une situation qui est absolument inouïe...» Quant à l'ancien conseilller d'Etat Jean-Jacques Rey-Bellet, natif de Saint-Maurice, il déclare dans «Le Nouvelliste» de mardi être «toujours sous le choc» après l'émission de dimanche.
Et pourtant, tout cela n'est pas très nouveau, puisque la majorité des cas reportés par l'enquête sont anciens et certains ont fait l'objet de compte-rendu dans les médias. Par ailleurs, au fil des générations, quiconque a fréquenté le collège ou l'abbaye sait très bien que la réputation de certains chanoines n'a pas toujours été des plus nette. Se dire aujourd'hui sous le choc, ou prendre des airs de vierges effarouchées, relève plus de la communication politique que d'une réelle indignation.
Des murs sauvés de la décrépitude
Les ennuis passés du chanoine J.-M. T., du chanoine M.S., de l'ex-chanoine L. K. ou du chanoine aumonier G. S. sont des secrets de polichinelle autour de l'abbaye. Maintenant, on dira que c'est du passé. Depuis, en 2021, l'Etat du Valais a racheté le collège pour sauver ses murs de la décrépitude. Dans cette opération, les deniers laïcs sont venus au secours de l'institution qui a fêté ses 1500 ans en 2015.
Aujourd'hui, ce qui est le plus gênant, c'est le cas du Père Abbé Jean Scarcella, nommé en 2015, remplacé ad intérim par Roland Jacquemoud. Malgré tout le tapage fait autour des abus sexuels dans l'Eglise depuis plus de vingt ans, les tête pensantes de l'abbaye ont continué à évoluer dans leur bulle immaculée en rasant la falaise qui surplombe leur édifice. Mais c'est finalement une émission de télévision qui leur est tombée sur la tête.
Des victimes ?
Ce qui est gênant également, c'est le témoignage dans «Mise au Point» de cette jeune femme qui a subi de graves attouchements lorsqu'elle avait 12 ans en 2004, mais dont la plainte a été rapidement classée. Pire, le juge d'instruction a donné l'ordre aux policiers de ménager le chanoine dans leur enquête et ce dernier lui a envoyé en retour une lettre de remerciements!
À l'unisson, les politiciens valaisans n'ont pas eu de mots assez forts lundi pour exprimer leur soutien aux victimes. Mais les victimes se retrouvent bien seules quand il s'agit de témoigner contre un prêtre devant un juge. Là, il n'y a plus personne de secoué, ébranlé ou sous le choc. C'est à la plaignante de porter le fardeau de la faute et de l'injustice jusque devant les caméras de «Mise au Point».