Carnet noirFranco Wipf, «Monsieur Lignières», n’est plus
L’homme qui, pendant quarante ans, s’est battu pour que le petit circuit installé au pied du Chasseral subsiste, est décédé le 8 février dernier au Tessin. Il avait 81 ans.
- par
- Jean-Claude Schertenleib
On l’aimait ou on le détestait; certains, même, disaient avoir peur de lui: Franco Wipf, l’homme qui avait collaboré avec le Français Robert Souaille dès les premières heures de l’Institut international de psychodynamie, à Lignières, en avait pris la tête en août 1968: «Je n’étais pas destiné à une telle tâche, confiait-il une quinzaine d’années plus tard. J’avais suivi des études commerciales au collège Saint-Michel, à Fribourg; je m’intéressais à l’économie et au journalisme. Mais ma passion, c’était la voiture.»
Et quelle passion, quel dévouement, quelle bataille quotidienne contre certains politiciens qui vont en faire leur cible! Combien procès, de trahisons, de coups durs, de fins annoncées et d’opérations de renaissance du seul circuit suisse? Jusqu’à la faillite, déclenchée pour une histoire de quelques centaines de francs; et le rachat des installations par le TCS, qui en a fait son centre de formation. La perte du circuit, une blessure qui est toujours restée ouverte dans le cœur de Franco Wipf qui, l’an dernier encore, alors qu’il s’était lancé dans l’écriture de ses mémoires, assurait qu’il avait retrouvé certaines pièces qui prouvaient sa bonne foi.
Une kyrielle de champions
Sans Franco Wipf, Jacques Cornu et toute une kyrielle de champions motocyclistes neuchâtelois n’auraient peut-être pas existé. Sans Lignières, toute une région, le canton de Neuchâtel et les rives du lac de Bienne, ne serait pas devenu un terrain fertile en participants actifs, pilotes de deux, trois – Rolf Biland! – et quatre roues. Spécialistes de la côte ou du rallye, du circuit et, plus nombreux encore, amateurs purs et durs qui venaient se faire plaisir dans les fameuses courses de «100 tours», qu’il pleuve, qu’il neige, que le verglas transforme la petite piste en un terrain de défi permanent.
Dès qu’il recevait une nouvelle voiture, Jo Siffert mettait le cap sur Lignières, pour l’essayer. Quand l’usine Abarth – la marque de cœur de Franco Wipf – chercha un circuit pour y réaliser les premiers tours de roues de son prototype engagé en championnat d’Europe de la Montagne, c’était Lignières qui avait été choisi, les Italiens désirant avant tout de la discrétion pour cet événement. Mais la neige était là...
Pas toujours aidé
Franco Wipf n’a pas toujours tout fait juste, il le savait, il l’avouait parfois ces dernières années. Mais lui, sorte de Don Quichotte d’une cause jugée impossible dans notre pays – les courses en circuits à caractère public y sont interdites depuis 1956 – , reprenait toujours son destrier; ses moulins à vent, c’était le Château, siège du gouvernement cantonal, à Neuchâtel. Ce sera bientôt les tribunaux, jusqu’au Fédéral. Et cette victoire, une dérogation du fameux article 52, qui lui permet d’organiser cinq courses à caractère public par année. Une manche du championnat de Suisse moto rassemble ainsi près de 20'000 spectateurs en mai 1973. Don Quichotte a gagné, il finira par tout perdre.
De plus en plus seul, pas toujours aidé par ceux qui lui doivent tant, recherchant en vain des partenaires économiques, il va finir par devoir jeter l’éponge. Mais dans ses yeux, jusqu’à il y a peu, il y avait toujours une lumière: «Il faut qu’on se voie, j’ai retrouvé quelque chose!» C’était au début de l’année dernière; en décembre, sa famille l’installait dans un home médicalisé au Tessin, où vit sa sœur. C’est là qu’il a rendu son dernier souffle le 8 février, il y a juste une semaine.
Que dire de plus? Peut-être juste demander à plusieurs générations de sportifs de ne pas oublier. De ne pas oublier que, sans lui, sans son abnégation, les sports mécaniques dans notre pays auraient forcément eu un autre visage. Repose en paix, Franco.