Agriculture - Trop d’oignons font pleurer les producteurs sénégalais

Publié

AgricultureTrop d’oignons font pleurer les producteurs sénégalais

Au Sénégal, l’oignon est un élément phare de la gastronomie. Mais surproduction, chute des prix et stockage catastrophique ont des conséquences amères.

«Une maison, un sac d’oignons»: derrière cet énigmatique appel lancé récemment sur les réseaux sociaux, au Sénégal, se cache le cri d’alarme de producteurs d’oignons appelant chaque foyer à acheter une portion de leur récolte, qui pourrit, faute d’acheteurs.

À Bambilor, un des foyers de production des oignons au Sénégal, à une trentaine de kilomètres de Dakar, le constat est amer: l’offre dépasse largement la demande, sous l’effet conjugué de la concurrence étrangère, de pratiques agricoles néfastes ou encore de capacités de stockage insuffisantes. Sous une fine pluie matinale, des filets de 25 kilos sont empilés le long des trottoirs, ignorés des passants.

«À toutes les sauces»

Les professionnels parlent d’une année sombre. En réalité, l’écoulement de la production nationale du bulbe à forte saveur est une préoccupation ancienne, à la mesure de l’importance de l’oignon au Sénégal. Le pays en produit 450’000 tonnes par an, et c’est un ingrédient incontournable de la gastronomie locale. «Il est cuisiné à toutes les sauces», explique Aram Faye, 50 ans, qui travaille dans un jardin de maraîchers. Il donne du goût au poulet yassa, au thiéboudienne et au mafé, plats traditionnels au pays de la Téranga.

L’oignon arrive en tête de la consommation et de la production maraîchères au Sénégal, avec une croissance forte, indiquait, en 2018, un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Il fait vivre près de 200’000 producteurs, dans un pays de plus de 16 millions d’habitants où l’agriculture emploie plus des deux tiers des actifs, selon Amadou Abdoul Sy, directeur de l’Agence de régulation des marchés.

Un tiers de perdu chaque année

Parmi eux, Diongue Masseye, 71 ans, regarde, impuissant, les oignons défraîchis qui tapissent son entrepôt de 450 m2 et dont beaucoup ont déjà germé. Près d’un tiers de la production est ainsi perdu chaque année. «Je vais en distribuer aux femmes du coin», soupire-t-il.

Le prix du filet de 25 kilos a drastiquement chuté: vendu 8000 ou 9000 francs CFA (entre treize et quinze francs suisses) il y a quelques mois, il ne part plus qu’à 4500 ou 5000 francs CFA (entre 7,50 et 8,25 francs) – beaucoup moins si une partie du lot est défraîchie.

Diongue Masseye peste contre l’État qui, selon lui, aurait dû prévoir une chambre froide géante. La carence en capacités de stockage est une des raisons de cette déperdition. Mais elle n’est pas la seule. «La faible qualité de l’oignon local se traduit par des pertes importantes et une quasi-impossibilité de le stocker», écrivait la FAO. Les spécialistes invoquent la qualité discutable des semences, mais aussi la propension à récolter les oignons trop tôt et donc trop humides, pour les vendre avant les concurrents.

«Ils ne sont plus vendables»

À Notto Gouye Diama, grand marché de produits maraîchers dans l’ouest du Sénégal, Daouda Mbaye, commerçant, montre des dizaines de sacs d’oignons abîmés, dont se détournent des clients plus intéressés par les poivrons, les pommes, les choux et les carottes. «Ils appartiennent à un agriculteur venu me les déposer pour que je les vende. Je l’ai informé qu’ils ne sont plus vendables. Il viendra lui-même le constater», explique-t-il.

«Les autorités avaient demandé de mettre les récoltes sur le marché par périodes différentes, selon chaque zone de production, mais elles n’ont pas été écoutées.»

Amadou Abdoul Sy, directeur de l’Agence de régulation des marchés

Les fêtes du Ramadan, en mai, et de la Tabaski (Aïd al-Adha local), en juillet, «n’ont malheureusement pas permis d’écouler les stocks des invendus», déplore Boubacar Sall, président du collège national des producteurs d’oignons au Sénégal. Il réclame la mise en œuvre d’une régulation de l’agriculture, pour rééquilibrer le statut des petits producteurs, «en proie à une concurrence déloyale de la part des grands», aux rendements trois fois supérieurs.

Certes, les importations sont suspendues depuis janvier, «mais on a importé de producteurs marocains, chinois, etc., qui, eux, ont des moyens costauds de production et de conservation», souligne Boubacar Sall. Un certain nombre de consommateurs continuent à afficher une préférence pour l’oignon importé, quand il est disponible sur le marché.

«Tout le monde produit en même temps…»

Pour Amadou Abdoul Sy, le directeur de l’Agence de régulation des marchés, les producteurs ont leur part de responsabilité. «Tout le monde produit en même temps. Les autorités avaient demandé de mettre les récoltes sur le marché par périodes différentes, selon chaque zone de production, mais elles n’ont pas été écoutées», regrette-t-il.

Les ménagères, elles, se frottent les mains, comme Astou Ndiagne à Bambilor. «Au lieu d’acheter un kilo d’oignon à 400 francs CFA (65 centimes suisses), on l’achète à 100 ou 150 francs CFA (à peu près 20 centimes suisses), ça nous permet de faire des économies», sourit-elle avec malice.

Version originale publiée sur 20min.ch

( )

Ton opinion

0 commentaires