Stress: «J’ai fait la paix avec mes démons»

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InterviewStress: «J’ai fait la paix avec mes démons»

L’artiste lausannois sort ce vendredi «Libertad», un 8e album riche musicalement et émotionnellement.

Laurent Flückiger
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Laurent Flückiger

Interview: Laurent Flückiger Montage: Yvan Golaz Photo Sébastien Anex

À bientôt vingt ans de carrière, Stress a encore des choses à dire. La preuve avec son 8e album, «Libertad», qui fait suite à un disque où il parlait ouvertement de sa dépression, en 2019. En quatorze titres, Anders Andrekson à la ville parle de son enfance dans le Bloc de l’Est, en Estonie, de sa rage intérieure, de l’absence de père. Il y a de l’introspection, de la nostalgie, le Lausannois parle aussi de la transmission des valeurs dans le rap. Cette richesse dans les textes se reflète aussi dans sa musique, où une balade peut suivre un rythme de hip-hop ou une chanson pop, et les nombreux featurings (Stefanie Heinzmann, Naomi Lareine, Karolyn).

Stress a 44 ans et est bien dans ses pompes, comme il le dit. Rencontre.

«Libertad», c’est le nom de votre album et c’est aussi le nom de votre vélo quand vous étiez enfant. Que représentait-il pour vous?

À l’avant, il avait une roue qui avait été volée par un pote. Il me l’avait échangée contre des Lego et deux Kinder Surprise (Rires.) Des choses qui étaient très difficiles à avoir pendant le communisme. Ce vélo me donnait la liberté de mouvement que je n’avais pas en tant que citoyen estonien, il me permettait de m’échapper de la maison où c’était hypertendu. On était une équipe de sept, huit gars de 10 à 12 ans à faire des tours partout, des missions. Ce que j’ai réalisé plus tard, c’est que, même si tu es dans un régime totalitaire, tu peux trouver la liberté en toi. Quand aujourd’hui j’entends que porter un masque est de la dictature, je réponds qu’on a la chance d’être dans un pays où on est plutôt bien lotis. 

Une grande majorité des mesures antiCovid viennent d’être levées. Quel est votre sentiment?

Je m’en réjouis. J’avais l’impression que certaines limitations donnaient un sens à la vie de certaines personnes et j’espère qu’elles ne seront pas trop frustrées. Pour moi, ce qui est le plus important, c’est qu’on retrouve cette vibe d’avant. Et ce n’est pas si évident.

Il n’y a pas de politique sur cet album. Pourquoi?

Je ne trouve pas qu’il n’y a pas de politique. Effectivement, il n’y a pas un «Fuck Blocher», ça va avec l’âge, c’est plus subtil aujourd’hui. Mes opinions n’ont pas changé, on sait contre quoi je me bats et je n’ai pas besoin de le prouver dans une chanson.

Vous commencez l’album en rappant sur de la musique classique. Pour tout de suite surprendre l’auditeur?

Ce morceau est un accident. J’ai écouté un titre de musique classique qui m’a très touché et j’ai écrit un poème. Avec mon entourage, on a décidé de l’exploiter et on a pris contact avec un ancien assistant du compositeur Hans Zimmer. Il avait un ami à Prague qui pouvait nous faire entrer dans une session pour mettre au point le projet et que ça ne nous coûte pas la peau du cul. C’est comme ça qu’on a réussi à tout jouer avec un orchestre (ndlr.: Prague Symphonic Ensemble). Avant l’enregistrement, quand j’ai compris que ça allait se faire, j’ai dû pleurer un bon coup.

Il y a une grande palette de styles musicaux sur ce disque. Vous aviez envie de montrer qu’en vingt ans Stress n’a pas été qu’un rappeur?

Quand j’écoute ce qui est sorti dernièrement, il y a un côté tunnel, et ça me gave. J’avais envie de quelque chose qui vibre, qui ressemble à ma vie. J’ai eu des hauts et des bas, alors maintenant je veux faire danser, faire sourire, faire pleurer. Je n’allais pas faire un statement sur mon style et mon flow, l’approche humaine est plus importante.

Il y a d’ailleurs un merveilleux duo avec la chanteuse valaisanne Stefanie Heinzmann.

On s’est revus au Gampel Festival et j’étais en profonde dépression. La meuf m’a parlé durant une heure et demie, elle m’a expliqué son parcours, sa propre expérience, et ça m’a vraiment aidé. J’ai tout de suite pensé faire un morceau avec elle. Je l’ai composé avec Noah Veraguth, du groupe Pegasus, au piano, je lui ai envoyé et ça a matché. J’aime beaucoup le chant de Stefanie. Elle est plus dans la pop et moi je voulais quelque chose d’old school, dans le style d’Amy Winehouse. La soul m’a tellement influencé quand j’étais jeune. Bobby Womack, c’était du rap en quelque sorte!

«Bye», c’est une chanson de rupture sur votre couple avec Ronja Furrer?

C’est une chanson de rupture avec mon passé, ma dépression. Le dernier album, j’étais au fond du trou et, comme je suis un mec têtu, je l’ai fait. «Bye» c’est un morceau pour dire que la lumière que tu vois au bout du tunnel est réelle. J’ai travaillé énormément sur moi-même, j’ai pris certaines décisions qui m’ont permis aujourd’hui de toucher cette lumière, d’être bien dans mes pompes, de savoir ce que je veux. J’ai fait la paix avec mes démons et mon passé.

Dans «Animal asocial» vous dites avoir «un cœur de lion et une âme de hooligan». C’est comme ça que vous vous voyez?

Oui, j’aime écouter de la musique de sauvages dans ma voiture super fort. Même si j’ai 44 ans. (Rires.) C’est comme avec le live. Monter sur scène est un effort pour moi. Mais, une fois que j’y suis, j’ai la chance d’avoir cette énergie qui sort. La société d’aujourd’hui attend des gens qu’ils soient raisonnables à partir d’un certain âge. Je ne suis pas d’accord. Cette rage est là en moi depuis tout petit et je l’ai accepté.

L’album précédent était un processus thérapeutique. Dans celui-ci, il y a beaucoup de nostalgie.

Je me souviens de l’époque du gymnase, de l’uni, avec les potes on était tellement proches. Avec le temps, on s’est un peu perdus. Est-ce que c’est ça devenir un adulte, un bonhomme? C’est quelque chose qui me taraude. Il y a aussi le fait de voir qu’ils ont tous des gosses, et moi pas.

Dans les paroles d’«Enfants de la pluie», vous dites: «J’veux pas être comme mon père / J’veux être un homme un vrai / Mais si t’en as jamais connu un / Comment être un homme un vrai.»

Le manque de références est quelque chose de difficile. On a tous une boussole en nous, mais elle nous indique une direction, ce n’est pas une source de courage. Si t’as un daron qui a été là, qui t’a élevé, qui t’a donné l’amour, il y a une attache émotionnelle à une situation. Ce morceau, c’est un message à moi-même et peut-être aux jeunes darons sur le fait de trouver sa place en tant qu’homme dans cette société qui nous demande de surperformer.

Si vous n’êtes toujours pas daron aujourd’hui, c’est pour éviter d’être un mauvais daron?

Je pense qu’il y a de l’autocensure, oui. Mais j’ai déjà eu tellement de chance, j’ai pu vivre tellement de choses extraordinaires. On ne peut pas tout avoir. Je serais OK si ça ne m’arrive pas, même si j’espère le contraire, car quand je suis dans une relation, j’aime construire un avenir. Ça n’a jamais été mon truc d’aller à droite, à gauche.

«Kékra», qui est le dernier morceau de l’album, parle des phantasmes dans le rap et de la réalité. Qu’est-ce qu’il représente dans votre carrière?

C’est le premier morceau que j’ai fait pour cet album. Il est très important pour moi. Il se focalise sur le rap et notre culture. On peut me dire: «Mais toi, t’es un tonton». Mais moi, je passe beaucoup de temps en studio avec des jeunes, j’ai encore une opinion sur la façon de se comporter. On vit dans la surenchère, dans le regard des autres. À mes débuts, les anciens checkaient constamment ce qu’on écrivait: «T’as ça? Non? Alors, tu ne peux pas le dire?» Je suis allé à cette école, et j’avais envie d’une chanson sur ses valeurs. La tchatche fait partie du rap mais c’est important de rester fidèle à soi-même. C’est comme ça qu’on pourra rester fidèle à sa famille. Parce qu’il n’y a qu’elle qui sera là le jour où tout va mal.

Bonus: regardez Stress parler de son titre «Beautiful Nightmare» ou l’histoire dingue de sa deuxième femme qui a sauté de la voiture en marche de l’artiste et qui est vraiment arrivé.

Interview: Laurent Flückiger Montage: Yvan Golaz

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